« La nuit de la dinde » de Serge Quadruppani est un roman d’une grande densité humaine, dont l’intrigue solide avance en broyant les protagonistes et en les révélant à eux-mêmes et aux autres. J’y ai vu d’emblée de nombreuses potentialités pour une adaptation. Au-delà de l’efficacité dramaturgique, l’auteur livre d’abord en sous-texte une critique féroce de l’establishment. Tous ces amis proches, issus de la petite notabilité, cachent en effet des secrets et des non-dits – enjeux familiaux, de sexe, d’argent, de pouvoir… – qui les relient en réalité bien différemment de l’affichage de façade derrière lequel ils se protègent. À ceux-là s’oppose en creux le personnage de Jeanne, à cheval entre l’enfance et l’adolescence, sorte d’emblème de pureté auquel le ravisseur se raccroche en vain, tentant d’en faire son alliée avant que l’âge et le monde dans lequel elle évolue ne la transforment.
Elle est donc doublement otage du monde des adultes, tant de leurs compromissions que de leurs fantasmes de rédemption. La nuit du réveillon est aussi une description implacable de la descente aux enfers d’un chômeur qui, au-delà de la perte de son travail, a été en plus privé de son identité et sa dignité. Le roman démontre très habilement comment la société dépouille progressivement de leur vie sociale et affective ceux qui n’ont plus d’ancrage professionnel, dans une indifférence générale. Ici, l’un d’entre eux se révolte et refuse l’inacceptable, se mettant irrémédiablement au ban de la société, sans espoir de retour…